La Chine de 20128 min read

Suite à GNOME.asia à Hong Kong, une brève visite à Shenzhen et quelques emmerdes de visas plus tard, je suis allé rejoindre deux comparses en Chine continentale à Guangzhou, avant de continuer notre périple dans diverses villes du sud/est de la Chine. Mon top photos se trouve ici.

Le périple

  1. Guangzhou: le canton. La ville de la bouffe. Malheureusement on ne s’y est pas attardés, donc on n’a pas pu tester la bouffe cantonaise (que je connais pas mal de toutes façons).
  2. Qingyuan et le temple de Feixia: on s’est loué un bateau privé avec chauffeur pour la journée et nous avons visité Feixia et Feilai, le long de la rivière. Des heures d’excursion dans la montagne à grimper deux fois environ 150-200m à travers des sentiers dans la forêt tropicale. Mes comparses ont été bouffés par les moustiques, alors que j’en suis sorti indemne (probablement que j’ai un goût de nourriture locale, donc pas intéressant).
  3. Gulang yu: Xiamen est une île, et Gulang yu est une île au large de Xiamen. Très touristique, Gulang yu pullule de touristes chinois et il est à toutes fins impossible d’y trouver un hôtel en fin de semaine, sauf si on connaît la fille du bar qui connaît la vieille dame du restaurant qui connaît la dame qui tient un guest house au deuxième étage dans une ruelle derrière un bazaar (véridique). Avant de finalement tomber sur cette offre, j’avais démoli mes pieds à passer plusieurs heures à arpenter toutes les rues du labyrinthe urbain de Gulang yu à la recherche d’un hôtel avec de la place qui n’était pas un 5 étoiles à prix exorbitant. Gulang yu c’est bien, surtout si on essaie les divers restaurants, mais c’est pas bien la fin de semaine, on se croirait à Disneyland. Xiamen: une partie des organisateurs de GNOME Asia se trouvait à Xiamen et nous a fait visiter le campus de l’université, qui est immense. Un tunnel piéton de deux kilomètres de long est rempli d’œuvres d’art (graffitis serait une insulte), très intéressant surtout pour les otakus. Aussi, Xiamen est une ville anormalement propre (depuis des siècles).
  4. Quangzhou: rien à voir à Quangzhou, sauf la mosquée et le minibus vers Chongwu.
  5. Chongwu: l’ancienne ville est un labyrinthe emmuré où pullulent les scooters. Le centre-ville moderne a des allures de Far West ou de ville du moyen-orient.
  6. Shanghai: c’est une mégapole, donc bof. Y’a les jardins du Yuyuan qui sont jolis, vieux de 500 ans, et vastes (j’étais surpris) et où on va certainement croiser au moins un ou deux québécois (coudonc) et il y a le musée près du People Square qui est immense et prend un après-midi entier à visiter (cinq ou six étages avec environ quatre salles d’exposition sur chaque étage).

Fak c’est ça pour le périple en tant que tel.

CAN'T SEE SHIT, CAPTAIN!

Shanghai? Non. Gulang yu.

Observations sur la Chine d’aujourd’hui

Il y a d’abord les observations évidentes à l’œil nu:

  • Population: une «petite» ville (comme Qingyuan), c’est quatre millions d’habitants. C’est déjà deux fois plus que Montréal.
  • Coût de la vie: on mangeait comme des porcs, à des prix dérisoires (habituellement 4 à 6$ par personne par repas, avec une tonne de plats). Les hôtels (très corrects) coûtaient typiquement entre 10 et 20$ par personne par nuitée. Les billets de train ou d’autobus de courte distances (1-2 heures) coûtaient entre 5 et 10$, alors que le train le plus cher (9 heures, entre Quanzhou et Shanghai) coûtait environ 40$. C’est génial de ne pas avoir à s’inquiéter de son budget.
  • Pollution et climat: le sud/est de la Chine est très chaud et pluvieux. Il est relativement rare que le soleil se montre (mais quand il se montre, il tape fort!), le ciel est généralement entièrement couvert de nuages à basse altitude, ce qui fait en sorte qu’on ne sait jamais trop à quel point c’est le climat et à quel point l’air est pollué (probablement un mélange des deux: on peut clairement ressentir la pollution omniprésente). Si mes photos semblent claires/pâles, ce n’est pas parce qu’elles sont surexposées: on ne voit vraiment pas grand chose, même à l’oeil nu.
  • Les Chinois de Chine conduisent comme des merdes. Les taxis n’ont pas de ceintures de sécurité (clairement, you’re expected to die) mais les autobus, si.
  • Pratiquement personne ne parle anglais. Genre une personne sur vingt, sauf peut-être à Shanghai.
  • Les étrangers sont des bêtes exotiques, tellement rares que les touristes (!) Chinois nous demandent d’être pris en photo avec nous!
  • Tout est sale (même la nature/l’eau) et ça pue (mais rien comparé à l’Inde, à ce qu’on me dit).
  • Tout est sécuritaire si on fait attention en groupe.
  • On va tenter de vous vendre n’importe quoi, n’importe où, à tout moment.

Puis les phénomènes un peu plus subtils, comme le housing bubble, les villes fantômes et le blanchiment d’argent. Beaucoup de spéculation, de nouveaux riches qui s’achètent plein de maisons/immeubles pour dépenser leur argent, et plein de promoteurs immobiliers qui bâtissent de partout avant même qu’il y ait une demande. Résultat: des quartiers entiers de tours à logement neuves, à moitié (voire complètement) vides. Un américain habitant à Xiamen m’a décrit ce phénomène selon ses observations (ex: le nombre de lumières allumées dans les logements le soir).
Finalement, il y a une analyse beaucoup moins évidente à faire concernant la perte d’unité, valeurs et affiliation à une raison sociale; j’ai eu le plaisir d’entretenir une conversation peu conventionnelle avec Tony Wu à ce sujet.
Il se trouve qu’il y a eu plusieurs révolutions sociales: land revolution (révolution agricole?), révolution culturelle, et peut-être une autre qui m’échappe. Toujours est-il que, traditionnellement, la société était régie par un système de «clans»: les villages entretenaient des relations entre eux et les individus étaient responsables envers leurs clans.
Au début des révolutions, le système de clans fut remplacé par un système de «groupes». Ainsi, le pouvoir des chefs de clan fut à toutes fins pratiques détruit. Or, cinq ans plus tard, on se rendit compte que le système de groupes ne fonctionnait pas alors qu’une grande famine sévit dans le pays, où 50 millions d’individus périrent. Le système de «groupes» fut alors dissolu par le gouvernement, sans être remplacé.
Maintenant, les individus ne sont donc plus affiliés à un clan ou groupe, uniquement responsables envers le «gouvernement», et c’est là le problème fondamental qui, selon Tony, a fait basculer la société de manière irrécupérable vers un individualisme sauvage. Il n’y a pas si longtemps, nous entendions parler d’une vidéo de surveillance où un gamin s’était fait rouler dessus par des automobiles en Chine, devant une foule de gens, sans que personne n’intervienne; ça ne serait qu’un exemple de cette montée d’individualisme.
On voit également les conséquences de cet individualisme dans le monde du logiciel libre. Je m’étais longtemps questionné sur le faible nombre de contributeurs chinois, présumant que le logiciel libre devait être une suite logique au collectivisme traditionnel chinois; je croyais que ce n’était qu’une question de piratage rampant et de manque de publicité de la philosophie du logiciel libre, mais je comprends désormais que cette explication n’est plus suffisante.
Mais pourquoi y-a-t-il individualisme sauvage? Remplacer un clan par un groupe, ou un groupe par «le gouvernement» n’est-il pas la même chose, «Meet the new boss, same as old boss»? Un problème fondamental, à ma compréhension, est que le peuple chinois n’a pas confiance en son gouvernement (avec raison!). Je m’étais longtemps posé la question si, en dehors des cercles d’intellectuels et d’informaticiens chinois, les «gens normaux», la majorité silencieuse, adhérait à la propagande du parti. Selon Wu, il semble que non. Il est convaincu que la majorité des «gens normaux» n’est pas si dupe que ça face à la propagande et qu’ils n’ont alors aucune confiance envers leurs dirigeants, et donc aucune loyauté. Si les gens n’ont pas de loyauté envers leurs dirigeants alors que, en parallèle, la société subit une industrialisation et un enrichissement fulgurant, la loi de la jungle prime à nouveau. Nombreux sont les cas de chinois ayant fait une fortune faramineuse en un temps record, alors que le reste de la population reste dans la misère (ou du moins, un niveau de vie assez bas); la conclusion logique que le chinois moyen doit en faire est que l’on a tout à gagner à tenter d’abuser le système et son prochain le plus rapidement possible, et tout à perdre à aider les autres (puisqu’on se fera inévitablement trahir). Ce phénomène ne sera certainement pas admis publiquement par lesdits individus, mais c’est effectivement ce qui se passe en pratique: le chacun pour soi. C’est donc là, à ce que j’entends des dires de Wu, le coup de grâce du collectivisme, duquel la société Chinoise ne se relèvera pas.
Autre truc amusant: les élections truquées. Théoriquement il y a des élections; en pratique, personne ne sait où on peut aller voter, ni même qui sont les supposés candidats pour lesquels on peut voter.

Jeff

Comments

One response to “La Chine de 2012”

  1. Une bonne idée de partager tes réflexions. J’ai fait suivre.