Les cônes oranges du libre: du ramollissement de l'enthousiasme face aux chantiers technologiques4 min read

Dans ce billet, l’ami “Antistress” (Thibaut) fait un état des lieux des grands changements technologiques du libre autour de la plateforme GNU+Linux depuis une quinzaine d’années, lorsque plusieurs d’entre nous ont commencé à utiliser cette plateforme plus intensivement. Il y laisse également transpirer un certain épuisement, ou “manque d’excitation”, qui est probablement ressenti par plusieurs d’entre nous.

Pour ma part j’ai commencé à bidouiller avec Linux en 2003, mais ce n’est qu’avec la première version d’Ubuntu, 4.10, que j’ai pu y coller à plein temps (note: je suis passé à Fedora depuis 2010). Et depuis, ça a été une histoire de patience. Beaucoup, beaucoup de patience.

Je vois souvent des parallèles entre le monde du logiciel libre et la ville de Montréal. Comme les chantiers dans les rues de Montréal qui semblent éternels (au point où nous avons un cône orange qui nous sert de mascotte informelle), on a l’impression de ne pas voir le bout de nos chantiers technologiques.

Les cônes oranges typiques du paysage montréalais, une photo du Devoir (pour mes besoins de parodie)

La tâche de modernisation technologique de notre système d’opération favori est colossale, a impliqué nombre d’individus et de compagnies (qui sont venues et parties à divers moments des “desktop wars” et “mobile wars”), et nombres de rebondissements et apprentissages en cours de route. On peut penser notamment:

  • à Xorg et ses multiples tentatives d’avoir du compositing qui tienne la route (incluant XGL, AIGLX, Compiz/Beryl, Metacity vs Mutter, GNOME Shell, KWin) et l’éventuel ras-le-bol-on-recommence-avec-une-architecture-qui-ne-date-pas-des-années-70 qu’est Wayland (visionnement obligatoire: cette merveilleuse présentation de Daniel Stone);
  • au chantier du multimédia avec GStreamer et PulseAudio (et maintenant/prochainement: PipeWire);
  • au long combat de modernisation de la technologie de Firefox pour survivre face à l’épidémie d’obésité du web et rattraper les performances de Chrome/Chromium;
  • à l’attente de pilotes graphiques libres, performants et stables pour les cartes graphiques AMD (depuis leur changement de stratégie circa 2010 où AMD s’est mise à publier de la documentation pour soutenir les pilotes libres, et quelques années plus tard aller plus loin et rationaliser leurs pilotes propriétaires avec les pilotes libres);
  • à l’interminable migration de l’écosystème d’applications GTK2 vers GTK3 (juste à temps pour GTK4, tiens!), idem pour Python 2 vs Python 3;
  • à l’interminable attente, de 2010 à 2019, pour que des gens compétents se penchent de manière concertée sur la question de l’optimisation de performances de GNOME Shell (depuis 3.36 et 3.38, c’est le pur bonheur);
  • etc.

Dans le monde du libre, nous sommes tous un peu sado-masos. Masochistes pour ce qui est de la patience dont nous devons faire preuve, et sadiques dans notre relation amour-haine envers nos logiciels favoris (je ne me suis pas gêné, par le passé, pour être assez critique sur mon blog concernant les performances de Firefox; critiques qui sont, une décennie plus tard, enfin résolues), de la même façon que les Montréalais(e)s ont une relation amour-haine avec les cônes oranges (même sans être fans de VLC). Et c’est sans compter la déprimante hégémonie de Google et Apple dans le monde du mobile au sein de la population, ce qui confine notre impact au monde du “desktop”.

Alors effectivement, après toutes ces années, on devient un peu moins excités que dans notre jeunesse où on se faisait fervents évangélistes du libre. Thibaut est assez clair lorsqu’il écrit ceci:

[…] je dirais qu’à part pour le premier item (la finalisation des chantiers en cours de Firefox sous GNU/Linux), je manque un peu d’excitation.

Pour expliquer ce phénomène, je crois que je dirais ceci: du côté “desktop Linux” il y a eu beaucoup de progrès un peu partout au fil des années, et une des raisons pour laquelle nous sommes peut-être moins excités par rapport aux nouveautés sur nos ordinateurs, c’est aussi parce que “globalement, ça marche maintenant” (vous souvenez-vous de l’époque pré-Xorg où on devait s’attendre à ce que l’interface graphique ne fonctionne pas au premier démarrage? et l’époque 2004-2012 où on devait se battre pour avoir du WiFi qui fonctionne? Heureusement je n’ai plus croisé de Broadcom dans les dernières années…).

Donc, il ne reste plus tant de choses criantes que ça à régler. Et ce qui reste à régler… remplace souvent des choses qui “fonctionnent”. De 2003 à 2013 environ, j’ai eu plusieurs situations où mon système de fichiers ext4 s’est spontanément corrompu “par lui-même”, sans explication (alors que ext4 était supposément stable et largement testé depuis des années). Depuis 2013-2014, ça ne m’est plus arrivé. Alors, pour reprendre le constat d’Antistress concernant l’adoption modeste de Btrfs, excusez-moi, mais je n’ai aucun intérêt ni enthousiasme à reformatter mon disque dur 2 teraoctets (détenant mon /home) de ext4 vers Btrfs. Ni l’empressement de passer à Fedora Silverblue au lieu de Fedora Workstation. Je vais laisser les nouveaux jeunes s’amuser avec ça!


Comments

11 responses to “Les cônes oranges du libre: du ramollissement de l'enthousiasme face aux chantiers technologiques4 min read

  1. Punaise je découvre qu’on a pas les mêmes cônes au pays des orignals qu’au pays des escargots !

  2. Effectivement, c’est une conception unique au Québec. On avait aussi les vieux cônes triangulaires traditionnels, mais ça ne convient pas aux autoroutes (pas assez hauts/visibles, et probablement que ça foutait le camp beaucoup trop facilement avec les bourrasques de vent).
    Depuis 1999, le cône (ou plutôt, la “balise” reformable circulaire conique) “T-RV-7” est le standard obligatoire, mandaté par le ministère des transports du Québec. Quelques détails ici pour les curieux/curieuses: https://www.journaldequebec.com/2010/10/25/un-cone-distinct

  3. Et c’est sans compter la déprimante hégémonie de Google et Apple dans le monde du mobile au sein de la population, ce qui confine notre impact au monde du « desktop ».

    Tatatatata… Tu oublies les prémisses d’une nouvelle révolution libriste qui commence à prendre son envol dans le monde du mobile. Je batifolle beaucoup avec mon Pinephone Community Edition sur lequel je teste régulièrement les dernières images disponibles. Celle qui fonctionne le mieux, pour moi, actuellement, est la «Manjaro with Phosh», une distribution mobile basée sur Arch Linux. Et c’est sans compter avec le Librem 5, un modèle plus haut de gamme qui vient tout juste d’arriver sur le marché! 🙂

    1. Effectivement, les options technologiques de Pine64 et Purism sont des gadgets intéressants qui nous laissent une lueur d’espoir en termes de plateformes futures ou comme “portes de sortie”; mon cynisme est plutôt concernant le fait que ces plateformes ne seront pas prêtes/attrayantes pour le commun des mortels non-libristes pendant longtemps, et même si/lorsque ça atteindra le niveau de raffinement d’Android un jour, l’inertie et apathie du commun des mortels les garderont marginales et fragiles (dépendre de l’existence continue d’OEMs et chipmakers coopératifs, avec des fabriquants occupant une très petite part de marché, c’est assez tendu comme situation à long terme). Comme je disais aux gens de Purism avant qu’il ne lancent la campagne du L5, l’industrie est jonchée des cadavres des précédentes tentatives de produire une “troisième plateforme” dans le monde du mobile…

      1. l’industrie est jonchée des cadavres des précédentes tentatives de produire une « troisième plateforme » dans le monde du mobile…

        C’est exact (ah, Firefox OS, WebOS, veaux, vaches, cochons…), mais si une troisième plateforme mobile arrive un jour à tirer son épingle du jeu, je pense que ce sera justement une plateforme ouverte et libre et non une autre plateforme privative. Voilà de quoi réveiller les vieux croûtons! 😉
        BTW, je suis sidéré par les prix du Librem 5, qui est proposé en deux versions:

        • La standard, à US$ 799.00: fabrication asiatique, prix compétitif.
        • La Made in USA, à US$ 1999: fabrication américaine, prix prohibitif.

        J’ai bien l’impression que nous allons rester dans l’opacité de la technologie matérielle chinoise pendant encore longtemps…

  4. Gardons espoir! Je me dis que si la bête est trop puissante il faut alors la convertir comme les convertisseur dans Age of Empire haha 😛 Vive notre imagination du libre 🙂

    1. Si un “wololo” fait la promotion de Linux, est-ce qu’il dit “wolili?” 😉

      1. 😂 ouiii wolili haha, Aller on lâche pas notre bon travail, difficile de gérer notre temps mais je crois que la culture du libre ses de s’amuser aussi tout en travaillant et être empathique envers les difficultés que nos camarades peuvent rencontrer. Je n’ai pas l’impression que ces cela qui s’anime l’autre côté, je dirais que c’est le gain capital et sa ça ne dure pas 😉

  5. J’ai constaté l’importance du logiciel libre dans le monde de la science, de la médecine et de la recherche il y a quelques années. En conséquence, j’ai décidé de me tourner vers le libre sans avoir beaucoup de connaissance de ce monde. Effectivement, il faut être sado-maso, mais si des gens comme y arrive, c’est parce ce que des gens comme vous font de l’excellent travail. Alors, peut-être qu’une source d’enthousiasme serait de CONTINUER à rendre le libre plus accessible?

    1. En tant qu’utilisateur j’ai moins d’empressement qu’avant de sauter sur la dernière technologie, mais en tant que contributeur et gestionnaire de projet libre on continue certes—c’est pourquoi j’ai ressuscité Getting Things GNOME cette année (ça pourrait vous intéresser 😉

  6. Et aussi ce journal sur linuxfr.org : Linux ne m’intéresse plus
    https://linuxfr.org/users/lezardbreton/journaux/linux-ne-m-interesse-plus